Jean Morières et Pascale Labbé
Un bon snob nu (Signature/Radio-France)

Avec cet album, Jean Morières et Pascale Labbé, deux artificiers hors classe
des musiques décadrées, co-fondateurs du micro-label Nûba, livrent un
palindrome musical aux confins du jazz et des musiques ethniques. Il y pleut
des sons aériens et des chants envoûtants qui emportent l'auditeur très loin
des territoires balisés du monde quelquefois redondant des musiques
improvisées. Un parcours musical subtil et raffiné pour un duo flûte
inventée et voix libérée.

Sur l’éclectique label Signature, après les excellents Téléconcerts de
Pierre Bastien, voici une rencontre de haut vol entre la flûte de Jean
Morières et la voix de Pascale Labbé. Il fallait bien un double compact pour
approcher cette tentative d’épuisement d’un dialogue musical sans
concession. On est ici au plus près du souffle et des balbutiements d’une
langue sonore en train de s’écrire, de se parler, de se dire. Le chuchoté,
le tremblé, le babil vocal épousent les méandres sinueux de la flûte
zavrila. Une flûte inventée pour échapper au poids de l’histoire de
l’instrument et tenter de s’approprier un territoire encore vierge, celui
d’une improvisation toute en finesse et en demi-teinte, au carrefour du jazz
et des musiques extra-européennes. Cette quête d’un « ailleurs » musical,
bien loin de toute séduction exotique, donne à ces plages une coloration
actuelle et en même temps profondément ethnique. Le terme de « musique
primitive contemporaine » n’a sans doute jamais été autant justifié qu'ici
pour essayer de cerner au plus près une pratique entre passé et présent,
improvisation et construction. Tendu sur le fil de l’instant, cet « ailleurs
» s'appréhende ici et maintenant, au cœur d’un duo en communication
permanente, entre sublime et dérisoire, folie et apaisement.

Gérard Nicollet

Octopus mai 2006